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vendredi 31 janvier 2014

Feuilles d’Automne


J’aime la route ! La route grise et sinueuse, changeante comme ma pensée inquiète ; la route qui réserve à chaque tournant de nouvelles surprises, la route avec l’horizon au bout, l’horizon qui fascine les yeux, les réconfortent comme le rêve et l’espérance réconforte l’âme.
Je chemine dans la brume matinale d’automne, sur la route qu’autrefois j’ai arpentée bien souvent.
Je ne laisse derrière moi que le bruit de mes pas dans la triste jonchée des feuilles mortes. Le paysage est incertain. Mais déjà le soleil fend son enveloppe laiteuse. Il est pâle encore comme la face enfarinée d’un clown.
A ma droite, étendue dans la prairie, la Moselle, gigantesque serpent aux gerçures d’argent sur une peau changeante, semble sommeiller.
J’arrive au tournant de la route qui grimpe au village d’Arry. Une sombre bâtisse s’adosse à la côte. C’est Voisage, vaste maison fortifiée qui servait de « Marches d’Estault » au xive siècle. Aujourd’hui sa porte, haute comme l’entrée d’une forteresse, ne reçoit plus que les voitures chargées de fourrage et le troupeau à la nuit tombante. Ses meurtrières qui parfois crachaient la mort, ne bavent plus qu’un purin brun et gluant.
Je m’engage sur le chemin rapide et long. Le soleil a complètement percé la mousseline blanche. Ce que l’on appelle un beau jour d’automne se prépare. Le seul peut-être de cette saison noyée d’eau. Pour moi, cependant, les teintes sont trop violentes. Le ciel se tapisse d’un bleu cru. Il fait mal à regarder. Et puis, il y a trop de couleurs, trop d’ors surtout. Il en coule partout : sur les vignes étagées au versant des côtes sur le feston sombre des sapins, tout en haut sur la crête ; sur l’aile noire du corbeau penché sur le soc de la charrue abandonnée parmi les chaumes. On se croirait dans le salon d’un nouveau riche, avec au milieu, la maîtresse de céans, plantureuse rousse à la toilette vert tendre, des bagues à tous les doigts et une rivière de diamants dans le creux des seins nus.
Je préfère les journées d’automne sans soleil. La nature est plus attirante, plus tendrement mélancolique. Les teintes plus discrètes prennent les nuances mortes des tapis Mais on ne choisit pas.
Lentement je continue mon ascension. Puis je m’arrête pour souffler. Une herse, attelée de quatre chevaux aux vastes poitrails, égratigne la terre blonde. Péniblement, l’attelage grimpe à la côte escarpée. Il monte dans le ciel, puis disparaît derrière une bosse. Je n’entends plus que les clairs « hu ! ohu ! » du conducteur.
En bas, la plaine s’éveille. Hommes et femmes, le nez bas, tirent les lisettes et les pommes de terre. Le vent s’aplatit sur des croupes robustes, gonfle en cloches les jupons courts, découvre des mollets ronds et fermes.
Les sacs bruns s’emplissent, s’alignent, donnent au loin l’illusion de moines en prière. Immobiles, les vaches paisibles posent dans les prés, pareilles à de grands jouets qu’on aurait plantés là.
Au loin, les collines bordent la Moselle, s’écartent parfois, forment des gorges où se blottit un village. Là, en face, Arnaville, lieu d’excursion préféré des Messins sous l’ancien régime. Plus loin, dans la brume rose, Pagny avec ses usines aux hautes cheminées fumantes. Et au-dessus, dominant tout, les ruines de Prény.
Mon regard attendri flotte longuement sur ce coin de terre lorraine. Ces petits villages ont un charme infini, inexprimable.
– * –
On est en pleines vendanges. Dans les vignes rousses, zébrées d’étroits sentiers, des bandes d’étourneaux font ripaille. Chassés par les vendangeurs, ils s’éparpillent au vent comme une poignée de confettis noirs.
Me voici au village. Les petites maisons blanches aux grands toits de tuiles moussues se pressent autour de la vieille église. Au-dessus des portes courent des ceps chargés de raisins bleus ; sur les fenêtres poussent des géraniums roses.
Les pauvres gars, jeunes et vieux, s’en vont, la hotte chargée au dos. Il cheminent lentement, tels des bêtes de somme, le pas lourd, les jambes traînantes. Les dos se courbent sous la charge ; les yeux glissent à terre sans se détourner. Et le « raie » s’alourdit plus on approche du but. Il se cramponne ainsi qu’une pieuvre au dos meurtri et ne lâche plus. Les poitrines maigres, oppressées, sont haletantes.
Dans la cuverie, les petites bêtes humaines vont et viennent, affairées comme les abeilles d’une ruche. Les porteurs escaladent la courte échelle appuyée à la cuve. Et puis, rassemblant leur reste d’énergie, ils balancent la hotte, secouent les grappes dans le gouffre béant. Ouf ! quel soulagement.
Ah ! si ainsi, d’un coup d’épaule, l’on pouvait disperser toutes les misères qui accablent l’âme tourmentée !
Dans ce petit vignoble, je connais tout le monde et chacun me connaît. Je croise de vieilles connaissances.
        Eh bien ! père Bello, ça marche, la hotte ?
        Ah ! n’men parlez pas, mon bon Monsieur. La hotte, ce n’est rien, voyez-vous ; ce sont les bretelles qui pincent, les maudites bretelles !
Et le vieux vigneron s’en va avec un rire narquois.
Le soir est proche. Déjà le brouillard accroche des voiles blancs aux saules qui prennent des formes de fantômes. Les gracieux colchiques ferment frileusement leurs calices mauves. La rosée fait plus pénétrantes et plus âcres les émanations du sol, des plantes sauvages, de la nature qui se meurt lentement.
Dans les champs, les petits pâtres rassemblent leurs gourmands troupeaux. Les feux de fanes de pommes de terre s’éteignent, mettent à terre des lueurs de veilleuses.
Les vendangeurs, des paniers et des seaux aux bras, regagnent leurs pénates en groupes joyeux. Chacun emporte une « mensché » de raisins noirs et blancs au bout d’une gaule tendue sur l’épaule. Les vendanges se terminent. Tout à l’heure, au « tue-chien » dans la cuverie, à côté du pressoir, les chansons mouillées de vin doux monteront dans la nuit noire.
Devant moi, un objet tombé au milieu du chemin attire mon attention. On dirait un grand papillon blanc. Je le ramasse. Tiens ! une halette de femme. Je veux rejoindre le groupe qui vient de me croiser. Mais déjà on s’est aperçu de la perte. Une fille arrive en courant. Elle est toute jeune, dix-sept ans au plus. Deux yeux d’un brun velouté caressent les miens. Elle tend la main avec un « merci, monsieur ! ». Mais moi, dissimulant ma trouvaille derrière le dos : – Ah ! mais pardon, jeune fille, je ne vous laisse pas quitte ainsi. Qu’aurais-je ? un bécot, au moins, dis-je effrontément.
Les beaux yeux s’allument, tandis que la jolie tête rougit. Mais d’autres groupes vont nous rejoindre.
        Pas en public, dit-elle.
Et puis, s’approchant de moi tout près, presque imperceptiblement de ses lèvres tremblantes :
        Venez auprès de l’église, ce soir, entre sept et huit heures.
Un instant après elle disparaît, là-bas, où le chemin fait un coude. Je reste surpris et songeur. Une bouffée chaude me monte au cerveau, réveille en moi des souvenirs confus et doux et aussi de vieux espoirs fanés …
Et tandis que je m’attarde dans ma silencieuse rêverie, le cri plaintif de la petite hulotte se mêle au son de l’angélus. La nuit de Lorraine m’enveloppe, noire et mystérieuse. La gorge d’Arnaville forme un étroit couloir sombre, avec des lumières au fond.
Mais j’arrive à Novéant. Le train est en gare. Un instant après on part. J’emporte un remords : je n’ai pas goûté le vin nouveau qui m’était offert et j’ai manqué volontairement le rendez-vous de la jeune inconnue.
Pauvre fille aux yeux doux !
– * –
Ma cousine, qui a coiffé sainte Catherine et raté plusieurs partis déjà, à laquelle je contais mon aventure, me dit entre deux soupirs :
        Décidément, ces pauvres hommes ne pèchent que par omission.
Je suis bien tenté de lui donner raison.

Claudius Mosellanus. In Le Messin, lundi 8 décembre 1924, p. 4.

jeudi 30 janvier 2014

A la recherche des cousins d'Amérique



Adèle Coustans (1856-1926), la cousine germaine de Fernand Coustans, a émigré aux Etats-Unis d'Amérique. Elle a rencontré Elmer-Wilcox Hubbard (1861-1933) lorsqu'il était professeur assistant de chimie, minéralogie et géologie à l'Académie militaire de West Point. Ils se marièrent le 2 avril 1890 et eurent quatre enfants : deux filles, Ruth et Thérèse, et deux garçons, Bruce et Geoffrey. Le couple fut enterré au cimetière du Mont Hebron, à Montclair, New-Jersey.

mardi 21 janvier 2014

mercredi 15 janvier 2014


Jean-Pierre-Michel Coustans, dit Fernand Coustans,  est né à Thionville (Moselle), le 17 décembre 1878, et est décédé au Ban-Saint-Martin (Moselle), le 16 septembre 1975.



Fernand Coustans (au centre), dans les bureaux de la Volkstribüne, à Metz, le 13 septembre 1922


Après des études à la Realschule de Metz, il devint journaliste : de 1920 à 1924, à la Volkstribüne-La Tribune du peuple, quotidien socialiste, bilingue mais très largement de langue allemande, soupçonné de bolchevisme et surveillé par la police, puis au journal républicain démocrate Le Messin, où il continua à publier des contes, sous le pseudonyme de Claudius Mosellanus, dont les premiers avaient été publiés dès 1912 dans le Le Pays lorrain et le Pays messin, revue régionale mensuelle illustrée.  

Il abandonna définitivement la politique et le journalisme vers 1930, pour se consacrer à la peinture. Il avait fréquenté le mouvement « Metzer Kunstverein » dans l’atelier de Edmond Rinckenbach (1862-1902), rue aux Ours – ancien atelier de Hussenot –, où il fut en contact étroit avec Henri Beecke, Alfred Pellon, Jacques Habluetzel et Victor Prouvé.
Expulsé avec sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale, il se réfugia à Lourdes (Hautes-Pyrénées), puis à Versailles (Yvelines).

Fernand Coustans (1878-1975) et Jeanne Tribout (1890-1963)
Metz. L'Esplanade.

L'artiste et sa muse sont représentés sous les traits de paysans de Sierck-les-Bains (Moselle)
Ex-libris gravé sur zinc par l'artiste messin Alfred Pellon (1874-1949)